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Restaurant Accents – deux chefs pour une étoile

Accents est un restaurant discret à Paris dans le quartier de la Bourse. Sa devanture, noire, discrète, intrigue. Quand on pousse la porte, une nuée de grues en origami est comme une deuxième entrée qui nous invite à pénétrer dans l’univers gastronomique du couple Ayumi et Romain. Ayumi Sugiyama est Cheffe Pâtissière et propriétaire d’Accents, Romain Mahi, lui, est Chef de cuisine et également propriétaire d’Accents. Ce couple, à la ville comme en cuisine, propose un voyage culinaire très personnel. 

Dans cette salle qui depuis l’entrée s’ouvre en longueur et en largeur, on découvre des tables, grandes, en bois brut, bien espacées pour laisser aux convives la bulle nécessaire à ce que chacune des tablées profite de son moment, sans se déranger les uns les autres. Les tons qui habillent la pièce sont doux. La lumière est présente mais délicate. La décoration est épurée : des branches aux murs, quelques photos, seule la porte de la cuisine en céramique brille, comme une porte aux trésors. Le fond musical est discret et ce soir-là, il distillait une  pop japonaise des années 80 que je ne pouvais qu’adorer. Le spectacle sera donc bien sur la table et dans les assiettes. Chez Accents ce qui se dégage surtout et dès les premiers instants,  c’est un sentiment d’apaisement et de bien être, de douceur même. 

©FlorianDomergue

Le menu proposé, chez Accents, est sous forme d’une carte blanche donnée aux deux chefs. Ils nous invitent à nous laisser entraîner dans leur univers. Seule demande de début de repas : avons-nous des allergies. Puis la valse des plats commence. Chaque temps de ce menu est composé d’un ensemble d’assiettes , créées par le couple Ayumi et Romain. Une vaisselle comme des nuages de couleurs qui viennent porter les jeux de textures, les équilibres de saveurs et de températures jusqu’à nos mains et nos papilles curieuses. 

Tout de suite le visuel frappe par sa précision, son élégance, sans pour autant chercher la démonstration. Puis en bouche, c’est pointu : les saveurs sont marquées, étagées, riches. Chaque bouchée, chaque plat sont équilibrés entre saveurs sucrées, salées, acidulées, amères et umami,…il en va de même sur les jeux de textures : croquants, coulants, fondants, denses, légers. On sent que la cuisine s’amuse, sur les températures également. Ces tableaux sont parfois saupoudrés de touche Kawaii (mignonne en japonais) comme cette tête d’ourson boudin / banane, ou encore le beurre moulé en ours qui porte un cœur, fumé au bois de cerisier.

Difficile d’évoquer précisément la carte puisqu’elle change selon les arrivages quotidiens, je n’ai pas envie de créer des frustrations. Mais je peux tout de même vous parler de délicats mariages comme l’aubergine fumée et comté, l’asperge en émulsion et son craquelin croquant, salicorne, tapioca, cresson, pomme et noisette comme un risotto ingénieux et goûtu.

Allez, je ne résiste pas à vous parler de ce plat de pigeon et morilles à la cuisson si juste, sauce mole et émulsion de vin jaune. Une explosion de saveurs tranchées. Cette pérégrination culinaire nous amène avec douceur vers les desserts. Un pré-dessert mêlant ail, chocolat et olive, à une glace au yaourt, tout en subtilité et en fraîcheur. Ce soir-là, c’est le dessert phare de Ayumi, la bulle sucrée, qui selon l’envie de la Cheffe et la saison se voit emplie de saveurs variées. C’est une double coque sphérique qui renferme des jeux de saveurs et de textures, et que l’on se plaît à exploser, comme une bulle de savon pour aller y chercher, au plus profond, l’ensemble des goûts. Ce soir-là c’était poire, aneth, fruit de la passion et lait réduit, très très frais pour cette fin de repas et peu sucré, mais tout en saveurs fruitées.

Un repas homogène, d’une grande cohérence et en même temps surprenant, très équilibré sur tous les points, sans masquer les saveurs. On sait ce que l’on mange et c’est très bon.

La cohérence comme un marqueur fort de leur cuisine d’Accents, jusqu’au café. Il est choisi chez Coutume, un torréfacteur parisien, pour s’accorder avec le repas du moment. Ce café s’accompagne de mignardises japonaises, dont un sponge cake très fluffy et aérien.

La carte des vins est bien faite avec des bulles de couleurs pour parler des saveurs des vins. C’est original et malin. On comprend tout de suite ce que l’on peut attendre de telle ou telle bouteille. Mais Léa Salomon, la Cheffe sommelière d’Accent, vous accompagne avec délicatesse dans ce bouquet organoleptique. Allant d’un pétillant naturel à un Minervois, en passant par un saké, ou encore un fraise martini subtil et frais.

J’ai rarement vécu une expérience culinaire aussi complète, aussi riche et en même temps pleine de sobriété et d’élégance. Dans la cuisine de Ayumi et Romain rien n’est gratuit, rien n’est ostentatoire. Dès l’instant où l’on passe la porte d’Accents on entre chez eux et durant le temps du repas, ils nous emmènent dans leur univers gastronomique et on se laisse prendre par la main par ce duo si bienveillant. Un voyage culinaire à ne  pas louper, à vivre et revivre à chaque saison.

Interview de Ayumi Sugiyama propriétaire et Chef Pâtissière et Romain Mahi Chef de cuisine, du restaurant Accents. 

Comment en êtes-vous venus à la cuisine ?

Ayumi Sugiyama :

Quand j’avais 5 ans, je savais que je voulais être pâtissière ou boulangère. 

J’aimais créer des choses avec mes mains. Arrivée au Lycée j’ai fait un stage dans une boulangerie au Japon, dans une authentique boulangerie japonaise, j’ai découvert alors l’aspect professionnel de ce métier. Ce que j’ai adoré c’est voir le sourire des gens qui viennent acheter des gâteaux, car souvent les gâteaux ce sont des choses qu’on achète pour les autres, pour des fêtes. Cette joie que cela procure, c’est cela qui m’a beaucoup plu. J’ai alors décidé d’étudier la pâtisserie.

Romain Mahi:

J’adorais manger, et chez moi on n’avait pas la culture de la grande cuisine, mais moi j’avais envie d’explorer cet univers. J’ai donc décidé d’aller vers des études culinaires.

Quel est votre parcours d’apprentissage ?

Ayumi Sugiyama :

J’ai fait l’école la plus connue de Tokyo : Tsuji. J’ai voulu ensuite travailler à Tokyo mais toutes mes demandes ont été refusées sur Tokyo, car j’étais une fille. C’est dingue ! Parfois le chef ne se déplaçait même pas pour me recevoir. C’était il y a 23 ans, aujourd’ hui cela  a changé. J’ai donc décidé d’aller dans ma ville natale, à la campagne, dans une petite pâtisserie. Tout y était traditionnel : le four, la balance avec les poids, et du coup j’ai appris les bases de la pâtisserie, à l’ancienne avec eux, durant deux ans.

Puis à mes 21 ans, j’ai décidé d’aller en France, à Paris. J’ai travaillé dans une pâtisserie du XXème arrondissement, Sucre et Cacao, et dans le Marais chez Pommier. Un jour, j’ai rencontré une japonaise qui était pâtissière chez Stella Maris, un étoilé, et qui m’y a fait rentrer. J’ai alors découvert que dans un restaurant avec le changement des menus, la capacité de création était beaucoup plus importante que dans une boutique, cela m’a beaucoup plu. Mon caractère est un peu “aléatoire” (rire), j’ai beaucoup d’imagination et j’ai besoin de l’exprimer.

Pour la suite, je suis allée à la Truffière durant 5 ans. Ensuite, je suis allée à Pau, puis je suis revenue  sur Paris à la Truffière pendant 7 ans. 

Romain Mahi :

J’ai décidé de faire Ferrandi, en 4 ans à l’époque. Puis j’ai travaillé un peu partout dans le monde: Pérou, Mexique, Japon, au Mandarin Oriental,… et à La Truffiere à la fin.

Quel est le lieu qui vous a le plus marqué ?

Ayumi Sugiyama :

La Truffière. Mon poste de pâtissière était en pleine cuisine, entouré des points chauds, des entrées, des sauces. Je voyais les cuisiniers travailler les épices, les légumes, tous ces produits qu’il n’y a pas au Japon. J’ai beaucoup appris. C’était très stimulant pour mon propre travail. C’est là bas que j’ai rencontré Romain (rire).

Romain Mahi :

Le restaurant Maison Blanche fut une très belle école d’apprentissage. Le banqueting, les cocktails, …, il y avait beaucoup à apprendre. J’ai appris de tous les chefs que j’ai croisés, je garde de bons contacts avec tous. Ils m’ont tous appris, mais je tiens à avoir MA cuisine. J’ai toujours eu peur qu’on me dise que j’étais le petit de Gagnaire, de Marx,… je tiens à mon identité.

Comment est né Accents ?

Ayumi Sugiyama :

Un jour, un couple japonais est venu déjeuner à la Truffière. Ils ont adoré les desserts. Le chef de salle leur a dit que la pâtissière était japonaise, ils ont donc voulu me rencontrer. Et de là ils m’ont proposé de me soutenir dans l’ouverture d’un lieu à moi. Ils m’ont proposé de faire une pâtisserie, mais pour moi il fallait faire un restaurant (rire). J’ai proposé à Romain de me suivre dans l’aventure et on a créé Accents.

En 2016 nous créons, avec Romain, Accents, et en 2018 nous avons eu une étoile. C’est fou.

Nous avons commencé avec un menu, mais il y avait beaucoup de gaspillage et je n’aimais pas ça. Pour moi il faut tout utiliser. On a réfléchi avec Romain, et c’est comme ça que l’on a décidé de proposer le menu carte blanche. De plus, cela permet de créer de la surprise. Pour moi le restaurant c’est ça, de la découverte. Si c’est pour manger la même chose qu’à la maison, cela ne sert à rien. 

Romain Mahi :

C’est Ayumi qui a créé le restaurant, la décoration c’est elle. Ce qui m’intéressait dans la création de ce restaurant c’était le côté éphémère, être sur l’instant, la page blanche côté cuisine. Ayumi a donné libre cours à ma créativité, elle voulait que les clients soient contents. C’était la seule directive.

Accent c’est vous et Romain de A à Z, vous créez tout ici ?

Ayumi Sugiyama :

La décoration ici c’est moi, les assiettes ont les crées ensemble avec Romain à la maison.

On utilise tout, même les coquilles de crustacés on les réutilise pour l’émaillage des céramiques. Le pain c’est nous qui le faisons aussi. En ce moment j’utilise les queues de fraises pour faire du levain, quand ce sera les poires j’utiliserai la peau des poires. On ne gâche rien (rire).

Romain Mahi :

C’est Ayumi ce restaurant, je m’occupe essentiellement de la cuisine, même si j’aime aussi créer de la céramique pour notre service.

Cette carte blanche, comment la pensez-vous ?

Ayumi Sugiyama :

On aime beaucoup Barcelone, les tapas, l’influence japonaise aussi est là avec l’accumulation de petits plats, de petites portions. Notre menu est donc une succession de petits plats à découvrir, pour explorer un maximum de saveurs. Les saveurs pour moi c’est fondamental.

Le salé c’est Romain, le sucré c’est moi. On se parle pas tant que ça, je sais ce qu’il y a dans sa tête (rire). 

Je n’aime pas le “trop de sucre”, c’est très important pour moi les saveurs, je veux que les gens aillent jusqu’au bout du repas. Les gens doivent savoir ce qu’ils mangent, d’où le choix du nom du restaurant : Accent. Quand les gens parlent, on sait d’où ils viennent avec l’accent. Pour moi c’est pareil avec les saveurs, je veux que le client sache ce qu’il mange. On a à coeur de faire des jeux de textures, d’équilibre de saveurs et de températures. 

Romain Mahi :

Au début, on mettait 1h, 1h30 à réfléchir au menu. C’est assez naturel maintenant.  Aujourd’hui c’est très “sur l’instant”, parfois cela change en plein service. C’est pour cela que sur le menu il n’y a noté que quelques éléments du plat, mais on laisse de la marge à la créativité, à l’envie du moment et aux arrivages des produits du jour. On suit ce que la saison et les producteurs nous apportent quotidiennement.

Aujourd’hui, c’est beaucoup à l’intuition, ce qui est évidemment lié à notre expérience.

Qu’est ce que vous aimez le plus travailler en cuisine ?

Ayumi Sugiyama :

C’est plus une technique : l’espuma (mousse, écume), on peut s’amuser beaucoup avec ça et différentes techniques….sous vide…congélation…J’adore ça (rire).

Romain Mahi :

J’aime beaucoup le gibier, mais c’est très saisonnier. Mais je fonctionne par période. Parfois, j’ai très envie de légumes, ou alors de salinité, de poissons…Cela peut être sur 2-3 jours ou quelques semaines…ce sont des périodes, liées aussi aux saisons, on aime changer, il n’y a pas de produit fétiche. J’utilise peu/pas de beurre. Je veux des choses légères. Pas que je n’aime pas le beurre, cela se fait ainsi. 

Quel est l’avenir pour Accent ?

Ayumi Sugiyama :

Vas y Romain, je te laisse dire. 

Romain Mahi :

J’ai l’envie de toujours monter en qualité, en technique, dans les goûts, les saveurs. Pas mettre quelque chose d’ostentatoire sur table, servir des plats forts, sans que le client ne sente tout le travail fait en cuisine. J’aime l’idée d’être étoilé, cela remplit le restaurant, le Michelin c’est un référence dans le monde. Je ne veux pas stagner, monter en qualité chaque année, je ne dis pas non pour la 2ème étoile, mais je sais qu’on a encore du travail pour ça, il n’y a pas de date limite pour ça.

Ayumi Sugiyama :

Il faut aimer ce qu’on fait, ce métier est dur. Il faut garder la passion pour continuer.

Romain Mahi :

Ici, il y a de la musique en cuisine, l’ambiance est bonne. On cultive cette atmosphère, cette bienveillance.

Merci à Reiko, Ayumi, Romain, Léa et toute l’équipe d’Accents.

Article écrit par Alexis Dumétier

– L’école d’Ayumi : Tsuji – https://www.tsuji.ac.jp/en/

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Mavrommatis, l’unique étoile grecque de la gastronomie française

RESTAURANT

Les frères Mavrommatis : Andreas le chef cuisinier (au milieu sur la photo ci-dessous), Dionysos et Evagoras ont créé en 1981 la Maison Mavrommatis pour faire connaître aux Parisiens les saveurs grecques authentiques et raffinées. Aujourd’hui, il existe plusieurs restaurants, des boutiques traiteur, et deux caves où on peut découvrir la diversité des vins helléniques, ont peu même y acheter des produits grecs estampillés Mavrommatis chez Monoprix ou encore au Bon Marché à Paris.

 

Depuis 2018, « Le Mavrommatis », le restaurant gastronomique des trois frères s’est vu attribuer une étoile au guide Michelin. Il devenait le premier restaurant grec en France à être étoilé. Cette année, Andreas et son équipe renouvellent la performance et confirment leur étoile. Quand on passe la porte, on entre dans un espace calme, épuré. Les formes et les couleurs rappellent l’architecture des maisons traditionnelles grecques. Le blanc, le sol composé de grandes plaques de pierres renforcent ce sentiment d’être passé dans une autre dimension : celle d’un bord de mer face à la Méditerranée. Les tables sont rondes et spacieuses. Les fauteuils sont confortables et enveloppants. L’espace entre chaque table permet une intimité toute agréable. Régis Botta est l’architecte qui a repensé le lieu, main dans la main avec Andréas Mavrommatis.

Nous sommes allés découvrir la cuisine grecque gastronomique et inspirée de souvenirs d’enfances d’Andreas, dans le bel écrin du restaurant « Le Mavrommatis » au cœur du Paris historique. Un repas en accord mets et vins, pour une expérience grecque totale et une leçon sur le vignoble grec.

En guise de prémices, le sommelier Norman Valck, nous fait goûter deux Retsina, une méthode grecque classique qui donne aux vins des notes de pins. Le premier est un Retsina rose du domaine KECHRIS, Roza. Ce vin est fait avec une extraction d’une durée de quelques heures, puis une fermentation alcoolique dans des fûts de chêne avec l’ajout de résine de pin fraîche et maturation de 6 mois avec bâtonnage sur lies. Des notes de fruits rouges, cerise, et de résine de pin. En fin de bouche, une acidité caractéristique du cépage Xinomavro.

En parallèle, Norman nous présente les « Larmes des pins », toujours du Domaine KECHRIS. Un vin dont les vignes poussent sur des collines à une altitude de 250 mètres. Millésime 2006. Le cépage choisi a été l’Assyrtiko, le cépage le plus noble de la Grèce. Après une période d’élevage de 10 mois, l’assemblage final est formé en sélectionnant le contenu des meilleurs fûts. Un vin d’exception. Au nez, ce sont des notes d’agrumes comme un champagne vieux élevé en fût. Des notes de thym en bouche et de gingembre ainsi que des notes de résine de pin très fondues.

Pour régaler nos papilles, le chef Andréas a voulu ouvrir le repas sur des amuses bouches fondantes de saumon laqué aux agrumes, des aumônières aux olives et jus de viandes, puissantes en goût mais aussi craquantes et évanescentes en bouche; ainsi qu’un macaron feta, yaourt au basilic, sucré salé croquant et piquant, étonnant ! C’est avec curiosité que nous sommes passés à l’entrée qui fut en deux temps. Premier temps, un velouté de topinambour, lait de coco et chips de betteraves, texture soyeuse et crémeuse à la fois. Un joli mariage coco-topinambour. Pour l’accompagner, un vin 100% Robola, du Domaine GENTILINI. Les vignobles Gentilini sont situés près du village de Minies, en Céphalonie, à 700 m d’altitude sur la côte ouest de la Grèce. Ce vin très tendu, possède une belle minéralité aérienne en fin de bouche. Subtil pour accompagner ce velouté.

Le deuxième temps de l’entrée, c’est un artichaut, le cœur en majesté et fondant, entouré de légumes maraîchers, palourdes, aneth, façon Constantinople. Un plat où l’amer et l’acidulé s’équilibrent sur des textures tantôt moelleuses, tantôt croquantes. Pour mettre en avant ce plat, un vin du Domaine PARPAROUSSIS, à base d’un seul cépage, le Sideritis. Un nez floral, jasmin, camomille, minéral et un peu gras en fin de bouche.

Nous poursuivons avec un poisson : un thon rouge grillé aux épices Zaatar, légumes glacés aux herbes de Provence, boutargue fumée de Messolonghi, jus vert à la cardamome. Le thon à peine snacké est relevé de sa croûte d’épices qui rehausse les saveurs du poisson et fait vibrer nos papilles.

Pour accompagner ce plat subtil et puissant à la fois Norman Valck choisit un vin du Domaine SIGALA, Kavalieros 2014. Un vin en monocépage, 100% Assyrtiko et mono parcellaire de vignes de 90 ans. Donc, une expressivité forte et du cépage et du terroir. Et au nez comme en bouche, les saveurs explosent : noix, fruits jaunes. L’attaque en bouche est sur le miel d’acacia, puis très ample, avec une fin tendue. Un bel équilibre gras-tension.

Je demandais à Andréas, le chef, quel était un plat de son enfance qu’il pourrait mettre sur sa carte aujourd’hui, accommodé avec ses talents de cuisinier. Voici sa réponse : une dégustation d’agneau de lait de Lozère.

Une épaule confite en cannelloni de céleri, une selle rôtie au halloumi (un fromage originaire de l’île de Chypre), dolmadès de blettes, jus aux olives de Volos. Toutes les saveurs de la Grèce ou presque en un plat, succulent et dont la cuisson rosée, parfaite, laisse la place aux goûts. Pour découvrir un peu plus les vignobles grecs et pour montrer l’étendue des accords possibles, le sommelier nous propose deux vins rouges très différents pour accompagner la farandole d’agneau.

D’abord un vin du Domaine KIR YIANNI, Ramnista 2011. Un vin d’altitude (700 m) et des vignes de 60 ans qui font face aux montagnes de Kaimakcalan et Vitsi. La robe est rouge claire, au nez des notes de purée d’olives noires, de câpres. En bouche, il est vif et âpre, amer comme un cacao 90 %. Un vin atypique qui s’accommode parfaitement avec l’agneau et sa sauce. Pour contraster avec ce vin audacieux, il nous est proposé un vin du Domaine MERCOURI, Cava 2013, qui est élevé 18 mois en fûts de chêne, puis 12 mois en bouteilles. Cela lui confère une robe d’un rouge profond, noir, au nez des notes de tabac, de prunes confites, les tanins encore serrés laissent imaginer la longue garde de ce vin. En bouche, c’est d’une belle longueur de saveurs sur les épices.

Après ce tour de la Grèce gargantuesque, il nous est servi un pré-dessert tout en légèreté: Framboises en coulis, tuiles aux amandes, crumble et sorbet framboise au thym. C’est vivifiant et cela remet le palais droit. Pour le rendre encore plus léger, quelques bulles grecques du Domaine KIR YIANNI, Akakies rosé effervescent 2017 : les bulles fines et délicates soutiennent une robe rose claire lumineuse. Au nez, c’est très fruits rouges : framboise, mara des bois, que l’on retrouve en bouche sur la saveur et non la sucrosité. Une superbe découverte ! Pour moi qui aime le champagne, j’ai toujours le plaisir de dénicher des vins pétillants, effervescents, brefs à bulles venues d’ailleurs. Merci Norman.

Pour finir ce repas, Andreas Mavrommatis fait résonner les saveurs des olives grecques avec le chocolat. Le mariage est une réussite, soulignée par la fraîcheur du basilic et d’une glace à la fleur d’oranger, évanescente.

Pour ce dessert original, le vin le plus vieux du monde, en 735, le poète Hesiode décrivait déjà le «Chyprus nama», ancêtre du commandaria, comme un vin subtil, suave, moelleux et de grande qualité. En effet, c’est un vin doux naturel de Chypre : St John Commandaria. Au nez, une farandole de dattes fraîches, d’oranges confites et de pruneaux avec une nuance de café, de pain d’épices et de fruits secs, noix et raisins.

Si vous souhaitez découvrir une belle cuisine grecque, c’est ici qu’il faut venir. C’est une cuisine faite avec les talents d’un chef qui se souvient des plats de son pays et des saveurs de son enfance. Andréas Mavrommatis aime à trouver les meilleurs produits grecs pour les restituer avec cœur de ses assiettes, avec le souci de l’excellence. Grâce à Norman Valck et à la cave du Mavrommatis riche de belles références, vous survolerez les terroirs grecs. Et quand à la fin du repas l’on pousse la porte du restaurant pour retrouver le vrombissement des rues parisiennes, on a le sentiment de revenir de voyage, les papilles en extases …

-Interview d’Andreas Mavromatis

– Qu’est-ce qui vous a amené à la cuisine ?

Au début, fin 1977, c’était un petit boulot la cuisine et c’était pour financer mes études. J’ai commencé par la plonge, puis les différents postes de cuisine. En même temps j’étudiais le français et les sciences humaines. Et là, j’ai découvert une passion pour la cuisine, même en tant que commis, j’aimais créer des plats, voir ce que les gens aimaient. Je ne savais pas encore que ce serait une paisson. Ce qui m’a poussé à aller plus loin, c’est que les Français aiment la cuisine et découvrir des choses. J’ai alors eu envie de donner une autre image de la cuisine grecque. Et après, cela a été une succession d’opportunités. On a acheté une boutique en 1981, un petit traiteur, une petite cuisine. On a commencé tout petit. J’ai alors commencé à m’exprimer en faisant simple et authentique. Les clients ont aimé. En 1996 quand j’ai eu ma maîtrise, je me suis inscrit à l’école de Le Nôtre et là, j’ai appris les classiques de la cuisine française.

– Quel est votre parcours de cuisinier ?

J’ai appris auprès de chefs. Le premier Frédéric Vardon, ancien de chez Alain Ducasse, et après Gabriel Biscay (basque) qui fut comme un mentor, je travaille encore avec lui. William Ledeuil, puis Christophe Bacquié aussi 3 étoiles Michelin. J’ai toujours eu envie de rencontrer de grand chef pour me perfectionner. Celui que je garde beaucoup à l’esprit est Biscay, personnage extraordinaire, il m’a apporté les techniques précises des cuissons, qui évoluent beaucoup, pour optimiser la qualité des produits, magnifier les produits en les respectant.

-Y a-t-il des produits que vous n’aimez pas travailler?

J’aime tout travailler sauf les tripes peut-être… Je n’ai pas eu l’occasion de travailler cela. J’avais eu l’occasion de goûter en Corse et le goût fort m’a marqué.

-Y a-t-il des produits que vous aimez travailler plus que d’autres et pourquoi ?

J’adore les légumes, racines, l’hiver, le printemps. La base en cuisine grecque ce sont les légumes. La viande et le poisson viennent en supplément. Ils apportent du goût. En ce moment, c’est le choux, le butternut , le topinambour. Je fais une crème avec une raviole de cèleri et du yaourt grec. Je fais aussi un gratin de topinambours avec de la truffe. Il y a tellement de façons de travailler les légumes.

– Un plat de votre enfance que vous pourriez remettre à votre carte aujourd’hui, retravaillé à la manière du Chef que vous êtes ?

Oui, plusieurs, j ai déjà fait un sauté de porc à la coriandre, je l’ai travaillé différemment pour le mettre à la carte. Je le fais avec sauté de veau aux cèleris avec des pommes de terre chypriotes qui ont un goût très particulier. La cuisine grecque, c’est l’affaire des mères et des grands-mères. Moi, j’essaie d’élever cette cuisine pour en faire une cuisine étoilée, je recherche les souvenirs de goût de mon enfance. Je veux faire découvrir constamment à mes clients de nouvelles saveurs. Je vais souvent en Grèce pour échanger avec les producteurs, je travaille des herbes grecques comme la criste marine qui pousse près de la mer. J’ai toujours cette envie de faire découvrir aux clients les produits qu’ils ne connaissent pas.

– Quelle est votre dernière découverte gustative ? Un produit, une saveur, un vin ? …

On prépare la nouvelle carte et l’on essaie de nouveaux accords : thé pomme citronnelle, crabe et avocat ou encore concombre, pomme verte et gingembre sur du crabe, peut être mangue et tarama…

– Mavromatis c’est une histoire de famille, est-ce que vous transmettez tout cela à la génération suivante ?

Oui. La France nous a accueillis, nous a tout donné et on lui a tout donné en retour. On a commencé avec moins que zéro et tout cela s’est fait à la force du travail, la solidarité, la famille, on partage les mêmes valeurs, c’est très important. On est habité par la fierté de notre pays et la volonté de montrer ce qu’ il peut donner. On veut valoriser cette cuisine. C’est très important d’avoir le désir de transmission. Ce qui compte, c’est demain. Tous les plats qu’on fait sont photographiés, ont des fiches. J’ai même fait un livre aux éditions Ducasse.

– En cuisine, comment se passe un coup de feu avec vous ?

En cuisine, c’est d’abord la maîtrise. Je suis pilote au passe. Je ne veux pas paniquer les équipes. Je fais en sorte de donner les plats petits à petits. Gueuler dans la cuisine, c’est fini. La préparation, la mise en place c’est important. Je déteste l’agressivité, on ne peut pas avoir de bons résultats avec. On ne doit pas rabaisser quelqu’un. On peut hausser le ton pour garder la vitesse, donner le rythme, mais toujours en bienveillance.

– L’année dernière vous obteniez une étoile au Michelin, qu’avez vous ressenti à cette annonce ?

Cela fait des années qu’on l’attendait. Au moins 5ans … Même les clients sollicitaient le guide Michelin. On n’a pas fait de travaux pour avoir l’étoile. On a fait des travaux après. Ca nous a donné le courage. La cuisine, c’est ça qui nous a donné l’étoile. C’est le goût grec.

J’ai ressenti de la fierté pour l’équipe, pour mes frères, pour ma cuisine et puis une grande reconnaissance pour la France de nous avoir donné la chance de tout ça. Il y a eu beaucoup de patience, de travail, et en France c’est possible.

– Vous confirmez votre étoile cette année. Félicitations. Que mettez-vous en œuvre en cuisine et avec vos équipes pour garder ce niveau d’excellence ?

On travaille sur les bases que l’on a depuis des années : la rigueur, la régularité de la cuisine, suivre les saisons. La rigueur, la rigueur, la rigueur, le choix des produits, des plats travaillés et l’évolution de la carte, toujours avec des prix raisonnables.

Pour poursuivre l’expérience grecque à la maison et essayer d’égaler le chef, Andréas Mavrommatis a sortie un livre de cuisine : Mavrommatis – 45 recettes de Grèce, avec amour aux éditions Alain Ducasse.

 

Le Mavrommatis

Adresse : 42 Rue Daubenton, 75005 Paris

Téléphone : 01 43 31 17 17

Article écrit par Alexis Dumétier
Merci à Sylvie Mira-Morlière

 

 

 

 

 

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